Photo Christian Philibert © Sylvain Thiollier

A partir de quand vous-êtes vous intéressé à Germain Nouveau ? 

Toujours en quête de projets cinématographiques, j’ai passé ma vie à recenser et à étudier les personnages les plus fascinants de l’histoire de cette région provençale dans laquelle je suis né et où j’ai choisi d’exercer mon « métier ». Au milieu des années 90, lorsque je me suis lancé dans ce projet, captivé par l’œuvre et l’itinéraire de ce poète mendiant, né et mort à quelques kilomètres de mon village natal (Ginasservis alias Espigoule), j’ai été rapidement saisi d’un sentiment étrange, celui de me reconnaître en lui. « Je ne suis qu’un rêveur. Et je n’ai qu’un désir : Dire ce que je rêve ! ». Tout était réuni pour imaginer un film extraordinaire : sa vie de bohème, ses rencontres et ses amitiés exceptionnelles, ses nombreux voyages, sa crise de folie mystique, son choix de la mendicité, sa mort dans la misère et l’anonymat… J’étais loin de me douter à l’époque de l’interaction qu’il avait pu avoir avec Rimbaud dans l’écriture des Illuminations.

Quelques mots sur le film ?

Le poète illuminé est le premier film consacré au poète Germain Nouveau. L’adjectif « illuminé » fait bien entendu allusion aux Illuminations, mais évoque en même temps les fous inspirés, les saints mystiques et les amoureux passionnés, trois figures qui lui correspondent parfaitement. Le récit est chronologique et témoigne de l’itinéraire artistique et spirituel de Germain. Afin de souligner son point de rupture, la crise de « folie mystique » de 1891, qui fit basculer son existence, j’ai choisi de diviser le film en deux parties (avant et après la crise). Articulant les propos des divers intervenants et les extraits du Mendiant Magnifique, filmé en 2010, j’ai voulu éviter le recours au traditionnel commentaire off. De façon naturelle, la musique du spectacle, signée Jean-Louis Todisco, est devenue celle du film. Au-delà de la mort de Germain, Le poète illuminé retrace également l’histoire de sa mémoire et celle de ses écrits, depuis les premières éditions de ses poèmes jusqu’à la thèse d’Eddie Breuil. Il rend hommage à ces chercheurs de l’ombre qui, à l’image de Jean-Philippe de Wind et de Pascale Vandegeerde, consacrent à ces investigations une large partie de leur vie et de leurs économies.

Quel est ce mystère qui plane autour des Illuminations ?

Les textes qui forment le recueil Illuminations ont été transcrits par Rimbaud et Nouveau au cours de leur bohème londonienne de 1874. Les rimbaldiens ont toujours considéré que Nouveau n’avait été qu’un simple copiste de Rimbaud. Nous savions, depuis la thèse de Jacques Lovichi, rédigée en 1964, que certains poèmes de ce recueil appartenaient vraisemblablement à Germain Nouveau. En 2014, La thèse d’Eddie Breuil est venue accréditer celle de Lovichi. Elle est même allée beaucoup plus loin, attribuant à Germain la paternité de la plupart de ces textes. Une révolution de tout un pan de l’Histoire de la littérature française. Malheureusement, la sortie du livre n’a pas bénéficié d’une importante couverture médiatique. J’espère que le film permettra de relancer le débat.

La production s’est déroulée sur une période de 25 ans. Pourquoi si longtemps ? 

Oui, ce n’est pas banal. J’ai commencé la réalisation en juin 1996 (soit trois mois avant le début du tournage des 4 Saisons d’Espigoule) par l’interview d’un proche de ma famille : Germain Dragon, habitant de Pourrières, qui avait 10 ans à la mort du poète et se souvenait très bien de lui. Pendant de nombreuses années, le projet est resté en suspens. Je travaillais sur d’autres films tout en continuant à me documenter sur Nouveau. En 2009, j’ai relancé le projet lorsque j’ai appris que le metteur en scène et comédien Philippe Chuyen, avec qui j’avais déjà collaboré, préparait un spectacle sur Nouveau. Entre 2009 et 2011, j’ai rencontré et filmé la plupart des spécialistes (interviews, conférences, vente aux enchères, visites sur sites, dans les bibliothèques ou les musées). Mais l’impossibilité de trouver un financement pour ce film m’a obligé à renoncer. En 2014, ma rencontre avec Eddie Breuil, qui s’apprêtait à publier sa thèse Du Nouveau chez Rimbaud (Ed. Champion), soulevant la problématique de la paternité des Illuminations, m’a remis le pied à l’étrier. Fin 2018, très touché par le décès de Jacques Lovichi, j’ai enfin saisi le projet à bras le corps pour ébaucher une première structure du montage et redémarrer la production. C’est là que je me suis rendu compte que le projet d’origine, un documentaire TV de 52 minutes, s’était transformé en un véritable long métrage. En 2019, j’ai terminé le tournage afin que le film soit prêt dès 2020.

2021, une année commémorative ?

Nous commémorons cette année le centenaire de la disparition de Germain Nouveau, une occasion unique de lui rendre hommage. Je suis très heureux d’apporter ma contribution à ce travail de mémoire. Cela a été rendu possible grâce à ma société Les Films d’Espigoule, à l’association Les Amis d’Espigoule ainsi qu’au soutien des villes de Pourrières et d’Aix-en-Provence. En parallèle de la sortie du film, est programmée une importante exposition à la Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence (2 octobre – 31 décembre 2021). Prévue initialement à l’automne 2020, elle a été décalée au printemps, puis à l’automne 2021 pour des raisons sanitaires (Covid 19), de même que la plupart des événements commémoratifs : colloques, conférences, lectures, éditions de livres, de timbres, de disques.

Avez-vous d’autres projets concernant Germain Nouveau ?

L’histoire de Germain Nouveau mériterait un film de fiction. C’était d’ailleurs mon idée de départ. J’ai préféré commencer par la réalisation d’un film documentaire. Ce genre cinématographique permet, tout en fixant un témoignage, d’approfondir son sujet et de rencontrer les meilleurs spécialistes. Une sorte de travail préparatoire au futur projet de fiction.